Sur le motif
Films/Voyages
On peut prendre une photo d'un paysage (ou d'une personne) sans regarder – avec sa tablette ou son téléphone – mais il est impossible de dessiner ce qu'on a devant les yeux sans le regarder.
En voyage, je prends peu de photos mais j'ai besoin de dessiner. La photo n'assouvit pas mon appétit. Mes dessins de vacances ou de voyages sont, pour mes proches et pour moi-même, beaucoup plus évocateurs que les photos de ces mêmes endroits, parce que le dessin, c'est la vision en train de se constituer, c'est l'expérience vécue. Le dessin explore et interprète tandis que la photo capte pour consommer ou thésauriser. Sans compter que certaines photos, comme le Grand Canyon par exemple, on les a tellement vues qu’elles sont, devenues des clichés démonétisés, pour ainsi dire.
La photographie est une empreinte lumineuse. Elle a donc réputation d'être la preuve de ce qu'elle montre, mais, en même temps, elle est marquée du sceau de la perte : aussitôt prise, elle ne coïncide plus avec le hic et nunc de la vision qu'elle a fixée. Le dessin, lui, ne peut prétendre à la vérité, puisqu'il est une interprétation. S'il y a l'objectif de l'appareil photo, bien qu'il y ait toujours le choix d'un point de vue et du cadrage, on pourrait dire qu'il y a encore davantage le subjectif pour le dessin.
Mais, à l'inverse de la photographie, le dessin est une conquête de la vision. Au lieu du « ça a été » passif qui caractérise inévitablement la première, selon Roland Barthes, la plaçant inévitablement sous le sceau du regret, le dessin signale un « c'est advenu » actif, qui est de l'ordre du désir. Le dessin est donc jubilatoire : il aiguise la vision et exalte le plaisir qu'elle procure. Dans la durée de sa production et le travail de mémoire vive qu'il implique (du motif au support et du regard à la main), l'exercice du dessin – même dans les moments où on ne dessine pas – donne au regard plus d'intensité et d'émerveillement.
Mais le dessin est intimiste : c'est seulement ma vision personnelle et le format se limite souvent à la page d'un carnet. Pour restituer alors la dimension spectaculaire des paysages, comme ceux de l'Ouest américain ou de l'Islande que nous avons parcourus, j'ai voulu l'amplifier sur l'écran de projection – et le mot de projection prend ici tous son sens. En complément, la sonorisation de mes petits films réactive la réalité vécue pour la faire partager de manière presque immédiate. Ces photographies sonores, enregistrées sur place, comme celles d'une corrida en Andalousie par exemple, propulsent le spectateur dans une sensation plus immersive que la vue toute seule ne permettrait pas.
Ce sont donc des petits dessins – très petits même pour les aquarelles d’Islande, sur des carnets à spirales de format A7 – qui sont ensuite scannés puis assemblés avec un logiciel de montage vidéo pour faire des petits films sans caméra. En Andalousie, je m’étais même donné le petit défi de graver sur le motif, et même en direct une corrida. Le dessin devient alors entièrement une quête tactile d’aveugle – parce que le vernis brun qui recouvre la plaque de zinc ne permet pas de voir ce que trace la main – et la pointe qui raye le vernis à graver réagit comme l’aiguille d’un électroencéphalographe, directement en prise avec l’émotion qu’engendre le regard.
A l'ouest (2013)
Andalucia (2014)
Islande (été 2015)
Northwest America (2017)
TéléSFAX
Filmé au téléphone